20 Janvier 2013
Depuis des années, le Toulousain Eric Demay se bat pour leur survie.Voilà il y a 16 ans, ce Toulousain connut une brève consécration pour avoir réalisé un film récompensé au Festival international de l'image sous-marine. Il se prit également d'affection pour Dolphy, éphémère star dont il accompagna le long séjour en solitaire sur les côtes méditerranéennes.
Il n'en est pas resté là. Son combat est de tous les instants, il s'agit bien d'une passion, née il y a une vingtaine d'années d'un voyage en Australie et, plus en amont dans le temps - il avait six ans -, de la vision d'un film, « Le jour du dauphin », qui le troubla fortement.
En octobre 2000, Eric Demay a consacré quelques semaines, riches d'enseignements, à plusieurs jeunes dauphins « bleus et blancs » (Stenella coeruleoalba) qui traînaient leur spleen dans le port de Saint-Pierre-les-Embiez, au large de Six-Fours. Ces petits delphinidés, membres d'une vaste famille qui compte 46 espèces, sauvages - c'est-à-dire libres -, ne fréquentent que très rarement nos côtes. Il fallait donc que ceux-ci aient une raison impérieuse de s'approcher de nos terres. Pensaient-ils que l'homme pourrait leur venir en aide? Eric Demay en est convaincu, qui prête à ces cétacés une « conscience » et une capacité à communiquer.
Dans le rostre de Pointe Noire, un hameçon
L'un des dauphins de cette petite bande est mort de s'être gavé de ficelles, de plastique, de feuilles de fusain, de laurier rose. Parce qu'il ne pouvait plus pêcher? Parce que l'armée expérimente un système de sonar qui a perturbé l'animal au point de l'empêcher d'attraper les poissons qui constituent son ordinaire? Eric Demay n'en exclut pas l'hypothèse.
L'autre victime des hommes, baptisée Pointe Noire, une jeune femelle, portait, fiché dans son rostre, un solide hameçon lié à un bon mètre de fil. Le lui retirer ne fut pas une mince affaire. Demay, qui « parle » dauphin, imite ses cliquetis, ses sifflements - l'animal les reproduit, ébauche malaisée de dialogue -, sut l'amadouer, la mettre en confiance. L'approche dura deux jours, le sauvetage quarante minutes. Le temps de se rendre familier, de donner à l'animal apeuré à choisir les outils de la délivrance: mains ou tenailles. Pointe Noire opta pour les mains en y reposant la tête, preuve d'acquiescement. En dix secondes, la bête, épuisée, amaigrie, tremblante, râlant par son évent, était débarrassée de l'hameçon et regagnait le large pour toujours et sans dire merci...
L'interrogation demeure: Pointe Noire et ses compagnons ont-ils tenté d'établir un contact avec les hommes? Appartiennent-ils à ces « dauphins ambassadeurs » un peu mythiques dont il n'existe qu'une dizaine de spécimens, sur les côtes d'Espagne, d'Egypte, du Maroc, d'Australie, de Nouvelle- Zélande? C'est précisément l'étude que souhaiterait mener à bien Eric Demay...
Lestés d'une batterie de voiture
Ce défenseur inconditionnel des dauphins ne se lasse pas d'évoquer le sort qui leur est réservé. Il parle, avec une rage froide, de ces bêtes prises dans les chaluts, retrouvés la queue coupée ou coulés, lestés d'une batterie de voiture, parce qu'ils sont protégés et que retrouver leurs dépouilles vaudrait aux coupables quelques déboires. Les pêcheurs n'aiment guère les dauphins, leur reprochant de piller les bancs de poissons. A tort: ces gourmets n'en dévorent que 5 kilos en moyenne, 3 à 6 % de leur poids. Il fut un temps, nous rappelle Eric Demay, où les canonnières de la marine exterminaient ces intrus à la mitrailleuse. Puis, du coton, fragile, utilisé pour les filets, on passa au nylon, impossible à percer, dans les années cinquante. Les dauphins comprirent qu'ils n'avaient plus rien à faire près de nous, ils prirent leurs distances: il y a belle lurette qu'ils ne viennent plus faire des galipettes dans le port de Collioure.
Des pêcheurs ennemis, une pollution croissante - métaux lourds, pesticides - qu'ils détectent (ils sont, en la matière, d'utiles sentinelles), voilà ce qui menace le dauphin: l'homme. Les militaires tentèrent, aux Etats-Unis - cela se fit à San Diego, le projet aurait été abandonné -, de les dresser à placer des mines, à tuer des plongeurs en perçant leurs combinaisons; les dauphins, ces naïfs, n'y voyaient là que jeu. Les Russes prirent le relais, dépensant des millions de roubles dans des programmes identiques. Les Russes dont Eric Demay pense qu'ils ont, peut- être, percé le langage des dauphins!
Des clowns pour delphinariums
Et puis, comme l'animal a décidément une bonne bouille, avec ses yeux ronds et son « sourire » permanent même quand il est triste à mourir, l'homme fit des plus grands d'entre eux, les plus dociles aussi, les Tursiops - les gris, les Flipper de l'antique série télévisée - des captifs, des clowns pour delphinariums. Des prisons d'eau, dorénavant interdites en Grande-Bretagne et au Brésil - il en existe deux en France -, où ils dépérissent tandis que les enfants s'esclaffent: leur longévité y est singulièrement abrégée alors qu'ils atteignent, à l'état sauvage, les quarante ans.
« Savez-vous, nous dit encore Eric Demay, que pour capturer un seul dauphin, un jeune, au large de Cuba, il faut en ''flinguer'' dix, que ses parents se battent avec acharnement à ses côtés »?
Voilà pourquoi Eric Demay veut sauver les dauphins.
* Pour contacter Eric Demay: Tursiops, 4 Barrière de Lombez, 31300 Toulouse. E-Mail: le.dauphin@free.fr